[#GRP] – Un petit exemplaire d’une puissance de vie

Le 14 septembre 2012

Ma chère amie,

Il m’a fallu tout de même quelque temps pour me remettre de mes émotions. Arriver ici et, dès le premier jour, me faire interroger comme à la sortie d’un meeting d’indépendantistes basques, j’avoue que je ne m’attendais pas à ça. Oh, tout paraît clean, tout paraît simple. On accueille les bras grands ouverts, heureux qu’un jeune manifeste un goût certain pour la réclusion religieuse. C’est votre premier séminaire ? Oui, c’est mon premier séminaire. Et vous allez faire votre quête spirituelle à partir de quel fonds ? Et bien, ça, c’est une bonne question, mais je ne suis pas né de la dernière pluie. J’ai bien vu en signant le document d’intégration que je ne devais en rien révéler ce sur quoi je suis venu m’éveiller. Il en pousse à chaque recoin de l’abbaye, des petits gnomes en habits d’hiver qui remarquent assez vite que tu es un petit nouveau et qui tentent de te faire transgresser le règlement dès la première semaine. Je ne sais pas si c’est mon activité dans un réseau presque fasciste de l’administration qui me fait trouver des réponses adéquates, mais j’ai assez bien gouverné dès la première discussion : Oh, vous savez, je ne suis pas encore totalement établi, et je suis avant tout ici pour trouver ma voie en allant de trésor en trésor. J’ai bien évidemment quelques idées, certain qu’elles vont assez promptement être détournées par l’immense richesse de cette immense bibliothèque. Et vous-mêmes, sur quoi travaillez-vous ? Oh, moi, vous savez (on voit que lui aussi a été à bonne école), je ne fais que passer de fonds en fonds. Ma quête est inépuisable. Parce qu’on ne te le dit pas vraiment en arrivant. On te dit juste : « Lisez bien tous les paragraphes, surtout l’article 48a ». Alors, évidemment, tes yeux courent sur l’article en question : Pour des raisons de sauvegarde de l’humanité savante, il vous est expressément demandé de ne révéler à quiconque, y compris vos camarades de chambrée, le sujet de votre quête spirituelle. On signe et on est accueilli dans la bibliothèque. Une dame assez peu aimable vous initie au maniement de la base de données. Clic, clic, et le document, ou la caisse, arrive sur ta table de travail. J’ai l’impression que tout est automatisé et que personne, en effet, ne vérifie ce que tu viens d’emprunter. Ça paraît dingue. Ce lieu où tout semble moyenâgeux est peut-être la plus moderne des salles de lecture du monde entier. J’étais un peu fébrile au début. La première fois que je trouvais des listes contenant des documents liés à mon auteure adorée, et pas des moindres : sa bibliothèque personnelle, des revues de presse, et, — tiens-toi bien —, des romans inédits. Mon cœur n’a fait qu’un tour. Je voulais découvrir ses fictions. Je voulais les avoir toutes lues avant que quiconque s’en saisisse, et j’ai fait mon premier choix à partir des dates que je trouvais mentionnées. « Dans l’ordre ! », que je me répétais. Respecte l’ordre ! Il y a forcément un ordre à respecter ! Alors, j’ai pris le seul de la liste qui n’était pas dans ceux que j’avais déjà lus publiés. La bombe ! Incroyable ! Je savais que ce roman avait été refusé de son vivant grâce à la biographie, mais je ne savais pas pourquoi. Maintenant, je sais !  C’est hallucinant. L’État serait tombé si ce roman avait été publié. C’est du début à la fin un réquisitoire contre l’activité de certains groupes d’influence pendant la deuxième guerre mondiale, avec la mort qui fauche tout sur son passage. Jeunesse sacrifiée, peuple sacrifié. Au profit de quoi ? Je l’ai lu frénétiquement en prenant en note quelques passages, mais surtout, les questions : Combien de morts ? Et pourquoi sont-ils morts ? Et qui les a tués ? Tout cela se passait dans les campagnes françaises alors que mes grands-parents avaient une vingtaine d’années. Ils étaient là, concernés, ceux qui m’accueilleraient des dizaines d’années plus tard avec leur gâteau au yaourt. On ne sait pas, quand on a trois quatre ou même quinze ans, que ta grand-mère a peut-être fait ça, ou que ton grand-père a peut-être fait ça, quand ils ne sont plus que d’adorables vieillards scotchés à longueur de journées devant leur téléviseur. Est-ce que quelque chose aurait dû m’avertir ? Est-ce qu’il n’a pas manqué des séances d’explications en conseil de famille ? Ou des cours en primaire pour nous expliquer : vous savez, vos grands-parents, et vos parents, et vous-mêmes, lorsque vous serez confronté à des situations similaires, des situations d’extrême fragilité de l’humanité, que ferez-vous ? Qu’auriez-vous fait ?

Je passe mes nuits à chercher des renseignements sur cette période, non celle dont il est question historiquement, mais celle qui correspond aux années où ce roman a été refusé. Je n’étais pas encore né. C’était la vie de mes parents. Je la comprends peut-être un peu mieux, car elle m’est plus proche. Cela dit, c’est une force presque machiavélique. J’en fais des insomnies épouvantables renforcées par ces pierres ancestrales et ce vent qui souffle dans tous les couloirs. Aujourd’hui, oui, aujourd’hui, quel est mon degré d’acceptation d’événements absolument inhumains qui, s’ils étaient révélés par la presse ou, comme ici, par la fiction, seraient interdits de diffusion parce que je ne serais pas prêt à entendre la vérité ? Qui décide de ce que je suis capable de juger par moi-même ? En viendrais-je aux armes de la guerre civile, vraiment, si j’apprenais qu’on tue en mon nom dans les pays du monde entier, dans mon pays, dans mon quartier ? Que ces réseaux d’influence ne font parfois que se déplacer pour être politiquement plus corrects, avec me included, me voting, moi pestant contre l’arrogance de quelques directeurs qui supposent que tout leur est dû parce qu’ils ont été nommés à l’échelon supérieur ?

Comme tu le vois, je suis loin de la Fac et des préoccupations qui m’assaillaient encore il y a seulement quelques semaines. La douce vie de bisounours qui vient faire ses devoirs comme un bon écolier avec introduction annonçant le plan, développement et conclusion rappelant le plan. Sortir d’une épreuve et aller boire un verre sur le bord d’un fleuve. Penser aux vacances. C’était le moi d’avant, le moi d’avant la rencontrer, d’avant plonger dans ses archives. Je prends conscience que l’armée poétique dont je te parlais lors de mon dernier message a une réelle nécessité, car ce n’est pas fini : on n’a pas tout dit. Il faudra entrer dans le combat. Je ne sais pas encore par quelle porte, mais j’ai déjà quelques idées : écrire. Je t’avais dit que mon plan d’attaque allait être peaufiné. Ah ça oui, je le peaufine ! Je regarde tout ce qu’elle a laissé, et surtout, la manière qu’elle a utilisée pour le dire. J’entre dans la tanière d’un Génie. Je suis son apprenti. Depuis hier, j’ai ouvert d’autres dossiers, et je m’isole. J’arrive en retard aux repas. Je quitte la table dès la dernière bouchée avalée. Il faudra que je revienne. Ma recherche est ici, assurément, et je me méfie de tout, à commencer de ces gnomes qui tentent de m’extirper des renseignements. Je les vois fonctionner. Ils se mettent ensemble à table, forment des petits clans internes. Ils doivent très certainement se partager les fruits de leurs travaux alors que c’est absolument interdit, mais nous n’avons pas de vœu de silence à respecter. Nous pouvons parler de tout et de rien. Cela se fait par allusion. De toute façon, il y a des mots-clés partout. Si je te parle de tel ou tel thème, par exemple, tu seras à quoi je me réfère. Si j’évoque l’absolution du silence et de l’eau et que tu l’as lu aussi, nous aurons ça en commun, nous serons sur les mêmes pistes. De références en références, nous finirons par parler le même langage. Nous y voici : langage codé. Peut-être celui que j’utiliserai dans quelques jours pour échapper au contrôle que j’estime pouvoir être drastique en ces lieux d’où rien ne doit officiellement sortir. Vois tout de même comme l’humanité est belle, comme elle a prévu de se former elle-même dans l’éternité alors que la vie de chacun se compte en quelques dizaines d’années. Ma lutte qui me conduit aux portes de l’Université à la case départ, à sillonner les librairies pour trouver un sujet, à plonger dans l’admiration esthétique d’abord, — c’est-à-dire, à quel point faut-il plaire avant de convaincre, même en littérature —, puis le besoin de retourner la terre pour y puiser le sens même des quelques prochaines années de ma vie que je vais consacrer à tout autre chose que ce qui était prévu, peut-être avec une forme de violence que je n’aurais jamais acceptée, jusqu’à venir ici où tout ce que j’attendais semblait avoir été savamment rangé dans des cartons pour que je vienne le trouver. Un petit exemplaire d’une puissance de vie, sauvegardé on ne sait trop comment, un léger trouble en feuilletant quelques pages, peut-être même un scrupule à jeter ces kilos de papier. Un « on verra bien » qui se transforme en « mon action le rend disponible à toute forme de continuité possible », et c’est moi qui m’en saisis, avant même d’entrer réellement dans mon année universitaire, avant même de retrouver mes combats idéologiques du quotidien, presque pour me former, presque pour m’orienter avant de prendre d’importantes décisions.

Mille pensées.

À suivre…


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[MATP] – Vous avez carte blanche

— Vous êtes tout simplement un génie.

Ces mots n’avaient pas eu besoin de sortir de la bouche du Grand Nicolas. Ses yeux les disaient. Son cou les disait. Son torse se redressant lentement au rythme d’une profonde inspiration. Il était devant son miroir. Et le Général Popov n’avait pas oublié de peu à peu s’incliner devant lui pour qu’il paraisse encore plus grand, de plus en plus grand. La grandeur d’un homme se ressentait au regard qu’il portait sur lui-même, et celui du Grand Nicolas n’avait à ce moment précis aucun concurrent. Il précédait les paroles du Général Popov en écrivant le scénario de sa victoire. Il voyait les Druides tomber un à un. Tout lui apparaissait de plus en plus clairement.

— Continuez.

Le Général Popov savait qu’il avait gagné cette bataille des affiliés, qu’il en serait à jamais remercié, alors il continuait avec sa voix de miel à dérouler son plan machiavélique.

— Il vous faudra de la patience pour que l’aboutissement de notre stratégie soit à la hauteur de votre volonté. Je vais me poster parmi les infidèles et je vous ferai remonter toutes les informations. Pendant ce temps-là, vous aurez placé l’un de vos agents administratifs pour régler les mesures fondamentales. Il ne pourra rien se passer et tous les Druides se croiront vainqueurs. Ils baisseront la garde. Je les connais bien. Ils ont beau être merveilleusement organisés, ils ne sont pas dépourvus d’orgueil, et de me savoir au placard les réjouira suffisamment pour qu’ils ne se doutent de rien. Le plus difficile sera alors de procéder au recrutement de votre Super Directeur. Il sera venu vous voir et vous adopterez le même ton que celui que vous avez adopté pour me séduire. Règle n°1 : tout détruire. Règle n°2 : ne rien dire de la règle n°1. Je les ai laissés monter en puissance au sein des deux Conseils, mais imaginez qu’un jour ces Conseils ne soient plus opérationnels, qu’ils soient tout simplement inversés, que votre volonté prime sur le choix démocratique. Vous avez deux atouts de taille en main : la légitimité des urnes et votre parfaite maîtrise du territoire. Il suffira de vous faire le meilleur allié du Peuple, celui que vous nourrirez des seules informations que vous contrôlerez de la source au destinataire, car pendant cette période que l’on pourrait nommer ni plus ni moins un État d’urgence, votre agent administratif mettra tout en œuvre pour que rien ne sorte des débats qui auront certainement lieu sur les différents sites de l’École de formation. Voyez-vous pleuvoir des petits papiers bleus le jour de la fête de la ville avec de grands camemberts rouges effrayant la population que tout ceci leur coûte extrêmement cher et que bientôt ils ne pourront plus subvenir à leurs propres besoins à cause des impôts que vous êtes obligé de prélever ? Voyez-vous l’ensemble de vos agents transformés en distributeur d’informations sillonner les rues alors que ces feignants de Maîtres d’armes seront en weekend à se dorer la pilule sur le dos du contribuable ? Voyez-vous la rage envahir le marché, les bistrots ? Voyez-vous le vote populaire cingler aux oreilles des Druides le jour où sur la place publique ils oseront afficher leurs revendications et que votre Peuple, en votre Nom, leur criera : Ça suffit ! Nous avons assez payé ! Vous nous en demandez trop ! Ce n’est pas à nous de financer vos activités. Il y a des mécènes pour ça, des banques, des multinationales. Et j’entends d’ici les Druides leur répondre : Et vos enfants ? Qui va les éduquer ? Laissez-les tranquilles, nos enfants. Nous savons les éduquer. Nous n’avons pas besoin qu’ils soient enfermés des heures à apprendre vos rituels ancestraux. C’est la modernité, maintenant, la télé, les jeux de société. Les voyez-vous ? Les voyez-vous se déchaîner les uns contre les autres ? Et vous voyez-vous arriver pour vous ranger du côté de la veuve et de l’orphelin ? Vous voyez-vous entrer dans l’engrenage du monarque absolu réélu de scrutin en scrutin avec un pourcentage qui fera pâlir tous vos adversaires, à commencer par votre « petit » rival qui fera moins le fier lorsque tous les livres d’histoire vous seront consacrés ?

Ah ça oui, il se voyait. Il se voyait à présent partout dominer. La voix qu’il entendait était bien celle qu’il avait désirée devant son miroir pour lui révéler son Destin. Il n’avait plus qu’en ligne de mire le Général Popov tournant autour de lui et imitant tous les protagonistes de sa propre histoire. Il reconnaissait bien là son talent russe entièrement bercé par la lecture de Dostoïevski. Il fallait de l’envergure à chaque personnage, de l’intrigue à l’intérieur même des caractères, des doutes, des ferveurs, des amours sans limite.

— Je vois tout de suite l’un de ces Maîtres d’armes tenter de se mettre en travers de votre Destinée. Je le vois depuis le début vouloir en faire une affaire politique et faire retentir la victoire des Druides au-delà des frontières du Royaume. Celui-là, il faudra le surveiller de près, car il sera peut-être le dernier à tomber. Tous les autres finiront par comprendre qu’ils auront un intérêt personnel à se ranger du côté de la Force, mais lui, c’est un idéologue. Je le soupçonne même d’être un peu communiste. Pour le cerner et l’attaquer sur ses points de faiblesse, il faudra que votre futur Super Directeur travaille en étroite collaboration avec moi, et en toute discrétion. Ce Maître d’armes n’a de vue que pour la puissance représentative. Nous allons la lui détruire de l’intérieur, sa puissance représentative. Imaginez que son corps social soit infesté de taupes et d’agents entièrement dévoués à votre cause. Imaginez que le jour où il appellera tout le monde à voter, — et il le fera, croyez-moi sur parole —, l’ensemble de ses convictions tombent une à une devant ses yeux avec moi, au centre de ce petit groupe fraîchement reconstitué, manipulant les angoisses de chacun. Imaginez qu’il soit à ce point harcelé qu’il en finisse par ne plus fermer l’œil de la nuit, toujours au bord de la faute grave. Imaginez que sa santé ne puisse plus tenir devant la pression que nous allons appliquer aux portes de ce qu’il appelle encore son espace de liberté, à ne plus savoir comment il pourra faire pour protéger ses propres apprentis.

— Général…

Le Grand Nicolas s’était enfin retourné, posant une main sur l’épaule de son fidèle serviteur.

— Vous avez carte blanche.

À suivre…


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[#GRP] – L’autogestion d’un système de création totalement déconnecté des circuits commerciaux

Le 28 août 2012

Ma chère amie,

Je crois que je vais devoir brûler quelques étapes tellement tout ce que je découvre est riche, et je m’en rends bien compte à la difficulté que je rencontre pour seulement écrire un premier plan qu’il faudrait que je présente à Black Boy la semaine prochaine. Je sais déjà que les propositions qui se mettent en place ne pourront jamais convenir. Une littérature sacrifiée au nom de la Doxa. Qui suis-je, du haut de mon piètre parcours universitaire, pour me permettre une telle supposition ? L’idée de faire un plan conventionnel me tombe des mains, et je passe plus de temps à écrire mes récits personnels, car c’est une dynamique contre laquelle je n’ai pas envie de lutter : lire tous ces romans, auxquels s’ajouteront ceux que l’adorable biographe au sourire délicieux va me prêter toute cette fin d’année, me donne résolument envie de faire un push littéraire au cœur même du plus grand réseau d’écritures du monde entier : le WEB et toutes ses possibilités. Puisqu’elle avait tant à dire à son époque, publiant elle-même sa revue, n’aurait-elle pas utiliser tous les outils mis gratuitement à notre disposition pour diffuser son œuvre ? Je bondis chaque fois de ma chaise, extatique et fiévreux. Peu importe que l’université valide quoi que ce soit de mes trouvailles. Je comprends très vite ce qu’il faudrait faire de tout ce que nous sommes. Publier ! Faire part de ce qui me consterne dans tout ce qui m’entoure, à commencer par ces luttes insensées qu’on nous oblige de perdre parce que nous n’aurions pas le droit de dire. Et l’auteur ? Qui viendrait l’attaquer dans sa production dès lors qu’il fait fiction de la vie, dès lors que ce qu’il produit n’a d’autre nom que roman ou poésie ? J’ai beau m’être entouré de tous les pare-feux syndicaux et politiques, il n’y a pas d’espace de liberté plus grand que celui de la fiction, là où personne ne peut sortir la carte du politiquement correct ou du devoir de réserve. C’est un acte personnel, un droit inaliénable. J’ai déjà lancé auprès de mes camarades syndiqués l’idée d’un blog où seules les fonctions apparaissent, aucun nom, ni le leur, ni le mien, anonyme derrière un pseudonyme, où je constate qu’il se passe quelque chose de douteux au sein des communautés d’agglomération et qu’il faut que cela change, mais tu ne seras pas surprise : tous mes collègues sont en panique. Ils me disent de ne pas aller trop loin, ne veulent pas être associés à une signature collective. Je les place devant le seul moyen actuellement sans limite d’afficher nos revendications au public, et ils ne s’en saisissent pas. Le régime de la terreur est bel et bien installé. Et je n’évoque pas là l’obscur dix-huitième siècle. C’est là, c’est maintenant. On a plus que peur. On est terrifiés. Et je viens de lire en toutes lettres : on ne peut répondre à la terreur que par la terreur. Alors, je viens de constituer ma propre armée que je lance dès que tout sera prêt avec un calendrier précis et des bombes littéraires sans scrupule : un blog, bientôt des romans, tout ça sous un nom que personne n’aura jamais encore vu et qu’on n’associera à rien d’autre pour le moment qu’à un pauvre poète qui n’arrive pas à trouver d’éditeur, mais j’ai aussi de quoi m’aider d’un collectif. Je remets en mouvement le GRP. Comprenne qui pourra. Je ne doute pas que je rencontrerai rapidement quelques auteurs qui auront envie de me rejoindre, et ce sera ce que je préfère avant tout dans la vie : l’action.

Je me suis renseigné sur cette drôle d’abbaye où seraient consignés quelques textes non communicables. Ce sont pour moi, j’en suis sûr, comme ces textes fondateurs de doctrines pacifistes que l’on cache encore au public et que je suis allé dénicher dans les greniers de vieux militants du quartier. Je ne vais pas attendre d’avoir une bonne note à la Fac pour plonger dans l’inédit de la Pensée. Je ferai allégeance à cette confrérie feignant un subit attrait pour le fait religieux, car je comprends le biographe : il faut se plier à un dogme pour continuer la recherche. Je comprends que ce soit le pas qu’on n’ait pas envie de faire, la frontière qu’on n’ait pas envie de franchir, mais j’entends depuis quelques semaines déjà qu’il y a là une affaire de cet ordre. Je te l’ai même évoqué, je crois. Il faut y aller. J’ai pris rendez-vous pour une première rencontre, et je m’attends à quelques questions suspicieuses. Je m’entraîne. Vous ne serez pas déçus, chers frères, chères sœurs, qui que vous soyez. Je mangerai à heures fixes et ferai vœu de silence. Je viendrai faire quelques séminaires. Je découvrirai en même temps ce qui fut écrit jusqu’à la veille de ma naissance et ce que peut-être personne n’a encore étudié.

L’année qui se présente va être d’une grande intensité. Je reçois peu à peu les programmes de la Fac. Il y aura tout ça, aussi, à étudier, tous ces devoirs à faire, la confrontation de Rousseau et de Diderot à comprendre, la littérature contemporaine et quelques auteurs aux allures proustiennes, sans oublier l’anglais. Le format de tous les devoirs est quasiment le même : un sujet presque libre et un nombre de pages. C’est très bien. Tout ce que je cherche sera là, m’aidera à mieux formuler mon grand projet personnel : quitter les méandres administratifs dans lesquels je me suis embourbé. Nous venons de faire tomber une forme d’oligarchie qui a fait bien des dégâts dans nos filières territoriales et j’ai entendu la clameur du peuple à l’annonce des résultats. Elle venait de tous les quartiers, convergeait vers la place de la Bastille au son de la victoire, mais comme à la fin d’une guerre, certains que je fréquente au quotidien ne mesurent pas encore qu’il sera possible de rétablir quelques libertés qu’on nous aurait subtilisées à coups d’arrêtés municipaux et de réorganisations de service. Nous n’aurions qu’à nous soumettre à l’ordre précédemment établi, comme s’il n’était pas envisageable que cela soit radicalement transformé selon la volonté d’une majorité nouvellement nommée. Je sais bien que tout cela n’est qu’une tendance qu’il faudra apprendre à travailler durant ces prochaines années, mais je me réjouis tout de même d’avoir quelques arguments qui pourront toujours commencer par : « Ça suffit ! ». Ce que je trouve tout à fait symptomatique, c’est que la joie que nous avons ressentie dans les rues, je ne la ressens pas dans les bureaux où je travaille. J’ai l’impression d’être encore entouré de flics et d’espions en tout genre. On n’ose plus se référer en dehors du circuit hiérarchique qu’on nous a tracé. Force est de constater que l’administration a gagné du terrain et qu’il sera difficile de la déloger ou de la subvertir. Ça tremble encore. Je vois des visages glacés qui semblent se demander comment ils vont pouvoir faire à présent que l’arrogance du pouvoir a été retoquée. J’étais déjà effaré de vivre en direct un changement de régime. Cela s’était senti dès que ce fameux Président avait pris en charge notre administration quelques années avant son élection. Oui, le ton n’était plus le même. On nous sommait d’appliquer. C’était le principe d’une milice à secrets de fabrique. On nous plaçait un à un des échelons hiérarchiques sur la tête. J’avais repris des études littéraires pour, aussi, me doter de nouveaux diplômes et, pourquoi pas, partir vers d’autres circuits professionnels, quitter cet environnement sclérosant. Je n’en peux plus de devoir me taire. C’est aujourd’hui qu’il faut agir et mon auteure adorée va m’y aider incessamment.

J’aimerais aussi te prévenir d’un élément important avant même que quoi que ce soit advienne ces prochains mois ou ces prochaines semaines. Je t’ai désignée pour être mon alliée. Je vais te tenir informée de tout ce qui va se passer. Je n’ai aucune crainte que tu sauras rester discrète, et crois-moi sur parole : même sous la torture, je ne révèlerai jamais ton nom. Mon plan d’attaque sur le WEB est bien coordonné, mais je vais le peaufiner, le nourrir de ce que je vais trouver à l’abbaye. J’ai encore cette fébrile impression de ne pas être suffisamment formé pour me sentir légitime. Cela prendra peut-être un an, et j’entends déjà le paradoxe qui se profile au fil de ce message qui est aussi le fil de ma pensée. Il faudrait faire au plus vite, mais pour être pleinement opérationnel, il faudra aussi attendre le moment le plus juste ou l’outil parfait. Imagine que je naisse seulement aujourd’hui, qu’un auteur virtuel se mette à investir les réseaux sociaux dominants, laissant le temps aux moteurs de recherche de faire leur travail d’archivage et qu’un jour on ne trouve que ce que l’on doit trouver de moi, des romans virtuels et la pleine application de ce qui me semble être l’une des meilleures voies à explorer actuellement : l’autogestion d’un système de création totalement déconnecté des circuits commerciaux.

C’est totalement grisant.
Je suis prêt à me lancer dans l’aventure !

Mille pensées.

À suivre…


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[MATP] – « Je ne pourrai peut-être jamais m’arrêter de pleurer »

Ce n’est pas tous les jours que nous apercevons dans les brumes matinales le visage inquiet où il semble qu’aucune larme n’arrivera plus jamais à couler lorsque l’âge qui se devine traversé par toutes les histoires d’un monde sacrifié n’est plus celui du rire spontané de l’enfance mais porte désormais la gravité du temps. C’est à cela que je ressemble, les yeux bas, les joues creuses, les cheveux ternis. L’instrument des premières joies est devenu celui de la désolation, et tout ne fait plus que descendre vers la tonalité la plus sombre, la solitude d’un brave à qui on a volé le plus précieux des trésors. Il n’y aura peut-être plus jamais de bonheur dans ce cœur si fragile qui s’était vu renforcé par une voix mystérieuse venue du fond des siècles. Oh oui, l’inquiétude s’est installée peu à peu, à le voir de jour en jour se dégrader. Je venais de plus en plus tôt pour distraire cet engrenage. Il avait passé sa pause à ne rien faire d’autre que téléphoner, il n’avait pas mangé, il fumait cigarette sur cigarette, jusqu’à ce que je me montre, car j’étais déjà là, blotti derrière un buisson, l’épiant, devinant à la gesticulation de ses bras et au regard concentré qu’il plantait dans tout ce qui l’entourait, qu’une grave affaire l’occupait, et au moment où je m’approchais, doucement, n’éveillant aucun soupçon, il raccrochait, plus rien d’autre que moi n’existait, quelle que soit l’heure, quel que soit le temps que j’avais choisi qu’il me consacre, nous discutions un peu, puis nous montions. Son sourire s’effaçait peu à peu. De jour en jour. Je volais ces quelques secondes qu’il laissait échapper avant de se redresser, face à moi, être toujours celui qui ne faiblirait jamais, il m’aidait, il me parlait fermement. Grâce à lui, toute ma vie, je me battrais. Je n’avais pas encore les mots pour le dire, mais la foi avait trouvé là une pleine résonance. Je n’avais pas besoin qu’il me dise qu’il m’aimait. Il m’aimait. Tout simplement. Parce qu’il avait compris dès le premier jour que je venais là mettre en jeu un projet individuel de la plus haute importance et qu’il ferait tout pour que j’y arrive malgré toutes mes difficultés intimes dont je n’avais parlé qu’aux fées rêvées, aux étoiles illuminant le ciel de mon enfance.

— Tristan ?

Elle m’appelait ainsi, dans la douceur de sa voix maternelle, pour ne pas brusquer mon retour à la réalité lorsque je partais ainsi dans mes pensées, n’apercevant plus rien autour de moi que cette mémoire émotionnelle ayant trouvé son lieu dans le récit merveilleux que je construisais pour ne plus avoir à m’inquiéter des innombrables obstacles dont la vie semblait être jonchée et qu’il allait falloir franchir vaillamment. Mon prénom m’interpelait et je reconstruisais peu à peu les murs de notre salon où étaient suspendus des cadres de photos de nous, à tous les âges, en communiants, en vacances, en famille, nous tous, ensemble, aux sourires éternels. Je replaçais la table, les fauteuils, les plantes généreusement feuillues, et mon regard revenait à celle qui m’appelait si tendrement, ma mère, qui avait mis sa main dans la mienne, attendant patiemment que je sois disponible pour entendre ce qu’elle avait à me dire de si important.

— Il s’est passé quelque chose à l’Ecole de formation. La fin de ton année va être un peu perturbée. Il va falloir être courageux, mon grand. Ton maître d’armes est tombé très malade. Il ne reviendra sans doute pas avant quelques mois.

Non, il n’allait pas revenir, et Tristan le savait. Il l’avait lu dans son regard. Il avait lu l’immense tristesse d’un adieu. Il l’avait su. Il avait détaché son petit bracelet bleu et lui avait dit : « C’est pour toi. Pour que tu ne m’oublies pas ». Ah ça non, il n’allait pas l’oublier. Il y avait eu encore quelques jours d’une joie absolue. Tristan s’était préparé. Un premier grand obstacle. Il allait y arriver. Le rire l’aidait. Il profitait de chaque minute, traînait longtemps après en rangeant ses affaires. Sa mère venait lui confirmer que tout était réel. Sa réponse fut de celles qui s’inscrivent dans le chant lancinant de l’enfance : « Je ne pourrai peut-être jamais m’arrêter de pleurer ». Et une première larme se mit, doucement, silencieusement, à inonder sa joue, devant le sourire tendre de sa mère.

Le général Popov avait suffisamment exigé dans sa carrière que ses sous-fifres ayant commis la moindre erreur se sacrifient d’eux-mêmes sans qu’il n’ait rien à réclamer qu’il n’avait évidemment pas imaginé se justifier auprès du Grand Nicolas à la suite de ce cuisant échec public devant le Second conseil tout entier. Les rumeurs qui s’étaient échappées par les fenêtres de l’Ecole de formation avaient de toute façon très certainement été relayées sans qu’il ne soit nécessaire d’en faire mention lorsqu’il viendrait, dès la première heure, déposer sa lettre de démission comme il supposait qu’on l’attendrait de lui dans les sphères du pouvoir. Cependant, il avait gardé de son origine russe un orgueil tel qu’il avait imaginé une ultime stratégie grâce à laquelle il ne serait peut-être pas traité comme un vulgaire DGS. Après tout, il s’était jusqu’à présent sorti de tous les champs de bataille avec la plus belle des prestances, et ce n’était pas pour rien qu’il avait gravi un à un les échelons de la reconnaissance militaire. On n’allait pas si facilement faire tomber un général, et le Grand Nicolas allait comprendre, il en était certain, l’importance de sauver la face d’un pouvoir impérial même s’ils allaient devoir, ensemble, formuler les condoléances aux familles venues se recueillir sur les tombes vides de tous ces soldats sacrifiés que leur absolutisme avait tués au nom d’un patriotisme sans faille. Il savait que le Grand Nicolas aimait se redresser devant le grand miroir de son bureau et qu’il suffirait de se mettre près de lui pour faire surgir cette vision d’une toute puissance que personne ne pourrait altérer. Il allait lui révéler qu’il avait enfin mis en fonctionnement le grand NDA dont il avait rêvé et qu’il allait désormais occuper une place volontairement discrète pour à la fois observer de près les conséquences de son action et alimenter ce magnifique projet dès qu’il serait possible de le faire, notamment en participant à la lente autodestruction de cette communauté de Druides dont il pouvait désormais témoigné qu’ils étaient encore trop soudés pour qu’une opération officielle déstabilise leur solidarité. Pour cela, il allait falloir, tout simplement, feindre le déclassement, et le laisser agir humblement dans le tissu représentatif d’un département disciplinaire à l’intérieur de l’Ecole de formation dans le but de faire plier l’opinion, et laisser temporairement la gestion de la structure à la rigueur administrative d’un intérim forcé avant de nommer au rang de Super Directeur l’un de leurs agents en cours de formation dans les arcanes stratégiques du parti politique dont il était, il n’allait pas falloir oublier de le lui rappeler, le Président fondateur et l’Elu incontesté.

À suivre…


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C’est un peu l’autogestion de la misère démocratique notre affaire

De ces phrases toutes faites que l’on entend de la bouche d’une catégorie A de la fonction publique territoriale : « je ne suis pas chargé d’évaluer mes élèves ».

Alors, prenons au mot la situation.

Je n’évalue pas ?
Quand il tremble,
Quand il ne peut pas,
Quand il n’a plus envie.

Je n’évalue pas. Je ne vois pas.

Quand il n’a plus envie de se coller au code qu’on lui impose, le fameux « cadre », vous savez, la consigne, le nombre d’années pour y arriver, le cursus obligatoire avec disciplines obligatoires et bientôt la tenue obligatoire.

— Les gens réclament de l’exigence. Il faut être un peu sérieux. Attention, dans six mois, c’est dangereux. Encore un faux pas et dehors.

Que sont ces « centres de formation » qui ne garantissent pas à l’élève d’aboutir :
– à son niveau ?
– à son désir ?

Qu’est-ce que c’est ?
Un centre de rétention ?

— On appelle ça « prévention ».

Pour des raisons de sécurité.
On connaît la chanson.
Si tout le monde faisait comme lui, on en aurait plein les rues. Et puis, c’est bien connu aussi : la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Alors, tais-toi, s’il te plaît, avec tes revendications de liberté. Mieux vaut le marasme dans lequel on est, dans lequel on peut venir gueuler auprès du Manager et obtenir tout ce qu’on veut plutôt que les réunions à deux balles où on décide d’une action commune.

— Le rapport avec le sujet ?

Oh, il y en a un.
Ténu.

Ça commence le matin devant la glace. J’en ai marre. Tous pourris. Et la vieille du troisième. Et le chien d’à-côté. Et la radio, les accidents, la météo, le ministre de l’économie, blablabla, les grèves dans les transports, la coupe du monde de football. Vingt ans d’études pour un salaire de merde, et faut encore répondre aux mails. M’en fous. Ce matin, c’est ma dernière réunion. Après, j’arrête. C’est fini. Basta. La plage et les palmiers.
« De toute façon, ça ne changera rien »
J’arrive à la réunion et y a encore l’autre syndiqué, là, qui a changé de crèmerie parce qu’il trouvait qu’on était un peu mou du genou.
— Ben oui, j’aime bien rappeler en public que nous aurions à nous ressaisir de notre capacité de représentation, parce que pour le moment, c’est un peu l’autogestion de la misère démocratique notre affaire.
Autogéré comme autoflagellé.
« C’est une question de personne »
— Donc, si c’est une question de personne, bon prince ou tyran, nous voici en autocratie.
Avec tous ses avatars :
1. Opacité ;
2. Inégalité de traitement ;
3. Messages larmoyants de celui qui fait tout pour nous, vous comprenez, je remue ciel et terre.

Alors, on dit : nous n’avons qu’à instituer un autre fonctionnement, dire que nous nous sommes réunis et que nous avons désigné un représentant.
— Donc ça veut dire qu’on entre en guerre contre lui ?
Non, ça veut dire qu’on lutte contre notre besoin de lui, notre besoin qu’il soit source ou cause de tous nos problèmes. Depuis deux heures que nous sommes là, nous n’avons parlé que de lui. C’est comme à la télé. À cause du Président. Scandaleux. Une voiture de fonction ! Avec notre argent ! Et la mini-jupe ! Scandaleux ! On dit que c’est lui qui institue tout, mais de l’institution, qu’a-t-il vraiment créé ? Il n’était même pas né. Qui l’a mis là ? Qu’est-ce qui le maintient quoi qu’il fasse ? Parce que c’est vrai, je vous l’accorde, il a l’air important. Tout semble dépendre de lui. Quand il entre dans une pièce, les faibles tremblent et les forts restent polis. Pourtant, au fond, il n’est là, comme nous, que pour garantir qu’un service est bien tenu, qu’il y a égalité de traitement, du chauffage à tous les étages. C’est un peu militaire, mais je préfère le nom de « chef de service » à celui plus contemporain de Manager. Et puis, c’est notre acceptation qui le rend si puissant. Notre soumission pour certains. Notre collaboration pour d’autres. Il n’y a qu’à voir comme il agit. Il n’est pas si curieux. Il ne va pas au bout du texte, parce que, entre nous, s’il l’avait fait, il nous aurait trouvés, débusqués, amputés. Virés.
— Imaginez qu’il désigne un incompétent ! Ou un sous-fifre !
Et pourquoi le ferait-il ?
Puisque c’est nous qui allons le faire.
En élisant.
On va lui dire : voilà, nous n’acceptons plus d’attendre dans le couloir que la décision tombe comme un couperet. Des vies entières en dépendent. À certains âges, c’est terrifiant. Déjà, c’est difficile partout, et là où il devrait n’y avoir que du plaisir, c’est encore la sanction. Tout semble arbitraire. Injuste. Et après je ne saurai pas contre qui exprimer ma haine. Je le ferai au hasard des rencontres dans la rue. Peut-être une vieille, peut-être un flic, peut-être ta bagnole, connard.

Alors, en effet, nous allons prévenir. Protéger nos enfants. Et nos collègues aussi. Nous allons prendre le taureau par les cornes et nous imposer dans la course aux projets et la course aux budgets.

Combien y a-t-il d’argent, déjà ?

— Mouhahaha ! Vous ne le savez même pas.

Il est temps d’agir sur le structurel.
Dès maintenant.

Ci-joint un cadre.

Point barre.

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« Ça sert à rien de vivre »

Les lieux d’expression que nous choisissons de créer et d’enrichir de notre pleine activité auraient sans aucun doute manqué à l’articulation du projet qu’ensemble nous tentons chaque jour de définir : faire sens du rôle que nous jouons en tant qu’acteur, ouvrir la troisième voie d’un faire ne ressemblant à rien de ce qui s’affiche aujourd’hui, loin du j’aime / j’aime pas, du tout ce que vous devez savoir en moins de cinq minutes et du c’est comme ça qu’il faut faire, travailler le corps social que nous sommes pour se soumettre au cadre sécuritaire qu’un drôle d’idéal a conçu dans la peur d’être face à ce grand fond existentialiste révélé depuis maintenant plus d’un siècle.

Nous avons réuni suffisamment de savoir théorique pour ne plus avoir à nous cloîtrer nous-mêmes dans l’inopérante opposition, et peu importe désormais le temps que tout cela nécessitera puisque c’est justement cet espace que nous avons acquis. Nous serions tentés par un reconquis, mais la dimension est éminemment plus riche, — au sens : plus complexe —, pour s’adonner à la satisfaction banale d’un simple et seul territoire retrouvé, car c’est un fait contemporain à prendre en compte permanentement : nous aurions le privilège d’un autre à obtenir, la place d’un autre à occuper, un jugement à formuler, une expulsion à concrétiser, mais qu’y ferions-nous, à part ouvrir une bouteille de champagne avec quelques témoins, ou quelques alliés, jouissant du fait d’avoir obtenu le grand bureau du pouvoir, les manettes des circuits économiques, grâce auxquels nous glousserions de voir nos ennemis écrasés, dépossédés, enfermés, voire abattus ?

Le format que nous utilisons n’a rien de nouveau par rapport à tous ceux qui nous ont aidés à être là où nous sommes. Il ne constitue pas un progrès en soi. Nous n’avons rien inventé. Le corps social s’est ainsi constitué. Nous y sommes nés et nous allons y mourir. Une seule fois pour ces deux actes temporellement circonscrits et chronologiquement prédéfinis. Nous l’avons juste déployé en concevant ce que seront nos avant et nos après et, bien sûr, notre pendant, notre sensibilité à l’éternité d’un moment puissamment effectif de ne pas regretter l’incontournable absence que nous étions non conçus et que nous serons achevés.

Nous n’avons plus peur, en effet, depuis que nous nous sommes définis personnages de nous-mêmes, d’être à nouveau débusqués par l’infâme inquisition, l’épouvantable sentence dressant entre nos horizons et nous l’infranchissable barrière du vous n’êtes pas autorisés à dire ce que vous avez à dire. À quel titre ? Le bon sens ? La loi qui nous gouverne ? L’institution ? À quel moment nous sommes-nous formulés, avons-nous écrit, que nous ne serions pas seuls, — les seuls —, à poser en une fois toutes les questions qui nous ont longtemps torturés, trop souvent empêchés, d’admettre que nous n’avions plus aucun moyen de les rendre publiques ?

Jamais.

Les instances du pouvoir se sont claquemurées dans les labyrinthes tortueux, dans les pièces sombres du clan. Nous aussi. Des femmes et des hommes ont appliqué des décisions incontournables qu’il sera impossible de ne pas prendre en compte. Nous aussi. Ils ont imaginé qu’une partie du public ne serait plus associé à leur réflexion. Nous aussi. Nous savons, pour l’avoir expérimenté, que nos paroles échapperont à l’actuelle vindicte autoritaire, et nous sommes intimement convaincus que nous n’avons plus qu’à nommer et décrire. Tout le reste interviendra trop tard.

Il fallait juste y penser. Il avait quelque chose à faire, mais il n’y arrivait pas. Quelque chose à dire, mais il n’y arrivait pas. Il portait son lourd fardeau sur le dos. Impossible de s’en défaire. Impossible de le déposer. Il avait le regard triste ou le regard inquiet. C’est parfois le même. Il avait d’abord besoin qu’on s’amuse un peu. Alors, nous avons joué. Avec une boîte. Je ne sais même pas l’ouvrir. Alors nous avons appris, à poser les mains, à articuler les doigts. Nous l’avons fait dix fois de suite. Il a fini par réussir. Évidemment. Puisque tout le monde finit par y arriver. À ouvrir sa boîte. Puis il fallait construire son outil, déchiffrer les codes, mais des figures l’empêchaient. Elles râlaient, elles grondaient, elles criaient, elles punissaient. Il a peur de ce qu’il y a en dessous. Je le rassure. À cette heure, il n’y a personne. Il peut sauter, crier, ou juste éclater de rire en courant dans la pièce. Ceux qui veillent, on les voit apparaître à certains moments de la vie, mais pendant que tu travailles, ils sont à la plage. Et ce qui compte vraiment, ce n’est pas leur avis mais bien ce que tu travailles, réellement. J’ai peur de me tromper. Il réfléchit. Ça sert à rien de vivre. C’est l’heure. Il s’est calmé. Nous nous mettons au présent. À partir de maintenant, tout ira bien, car j’ai tout préparé dehors, quand tu te promèneras, pour qu’on te tende les bras et qu’on t’adresse la tendresse bienveillante que tu ne cesses de réclamer. À cause d’un petit frère, peut-être, plus signifiant aux yeux des gardiens du code, mais tu verras : il te suffira bientôt d’être là, car nous avons tous besoin de toi, pour comprendre.

Il s’entraîne, et enfin, il sourit.

C’est cette voie-là que nous aimons.

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L’aventure littéraire continue

Seulement un an après l’ouverture de la Maison d’édition virtuelle, je suis heureux d’ouvrir une nouvelle année d’aventures littéraires en vous souhaitant à toutes et à tous une merveilleuse année 2018, pleine d’amour, de lectures et d’écritures.

La vente de Vue sur le cimetière, premier « vrai livre » que vous êtes maintenant nombreux à avoir entre vos mains, et qui a obtenu le Prix de Cybernautes, m’a permis d’engager celles et celui (ça, c’est de l’écriture surinclusive) à qui je dois d’être venu à bout de L’artisanat furieux, le premier roman virtuel de l’humanité, qui a commencé à l’aube de l’année 2016 alors que j’étais encore seul face à moi-même, et qui s’est achevé dans la joie et la bonne humeur en cette fin d’année 2017 avec tant d’amis réunis que tout le quartier parle encore de cette fête qui a fait trembler plus d’un mur. Comme vous le savez déjà, ici, rien ne se perd, et la moindre virgule se retrouvera imprimée. Il y aura sans doute une version « vrai livre » de cette expérience d’écriture, mais d’abord, je tiens à vous présenter toute l’équipe à qui j’offre tout pouvoir d’initiative personnelle :

Hélène, responsable littéraire, qui m’aide à relire, à choisir, à couper, à refaire, à brûler, à décider.

Notre excellente Martine, responsable de toute l’administration, qui a le don de transformer les moins en plus et de renverser les tendances économiques.

Johnny (ne lui faites pas le coup du « Ah, t’es pas mort ? », il en a déjà fait six syncopes et m’a demandé trois arrêts maladie), responsable de tous les outils WEB, des romans-sites, du blog et de notre visibilité sur les réseaux sociaux : Twitter et Facebook.

Les projets 2018 sont nombreux :
Sur le blog, vous verrez naître dès mercredi une série que j’ai appelée [NO WAY] et qui par quelque savant algorithme dont nous détenons le secret s’est retrouvé désordonnée, offrant à nouveau au hasard d’une lecture la sensation qu’une nouvelle histoire ne peut se construire que dans la folie de brouillons éparpillés. Le blog reste le lieu où l’écriture se travaille. C’est grâce à cela qu’est né Vortex Temporum et que s’est écrit au fur et à mesure des Saisons mon prochain livre en cours de réalisation : L’intimité n’a plus de lieu possible. Osons les paris insensés : d’un « vrai livre » par an, l’objectif est de passer à deux. Je continuerai Marc a tout pris, Tristan pleure et #GRP, les deux romans-sites en cours d’écriture. Et, promis, il y aura au moins une nouvelle rochoise supplémentaire dont j’ai déjà le titre (© rycholiver.org 2018) : Meurtre à La Roche-Bernard.

J’ai hâte d’être à l’année prochaine pour faire un bilan de ces nombreux projets. En attendant, bonne lecture à toutes et à tous, et encore une fois : BONNE ANNÉE !


La boutique en ligne : http://www.rycholiver.org/boutique/.


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[AF] – Ce que disent les arbres

— Mon frère m’énerve
— La sueur, c’est dégoûtant.
— Mon cerveau me piège tout le temps.
— L’eau, c’est bon pour les arbres.
On regarde par la fenêtre, le vent fait pencher toutes les branches.
— Je m’en moque un peu, de l’auteur.
— J’ai un sac d’à peu près dix kilos, mais les sacs à roulettes sont interdits, alors, j’ai mal au dos.
Il se place devant la fenêtre.
— Il y a des voitures garées, des arbres, encore des voitures.
— Et le parc ?
— Je n’y vais jamais. Moi, je vais dans l’autre.
Il se prépare : la veste de survêtement installée comme une cape. Il ajoute des lunettes (pas les siennes) et un bonnet (pas le sien). On apprend aussi à lire l’heure.
Mais la fois suivante, plus de montre.
— La malédiction a disparu.
— Il faut détruire les immeubles, faire une zone de lancement, faire une fusée, partir directement dans un autre pays.
— Je me souviens de ma naissance. De qui était là. De ce qu’ils ont dit.
— Les cauchemars, je m’en souviens toujours.
— C’est très philosophique dès qu’on parle du temps.
— Ceux qui ont inventé tout ça sont des sadiques.
— Je veux créer mon propre monde, ma propre religion.
Sur un pull : Super flemmarde.
— C’est plus facile que le théâtre, d’apprendre des phrases et de se laisser guider par le souffle.
— C’est féérique.
— Je suis fatiguée.
— C’était avec papa cette semaine.
Sur un T-shirt : Besoin de vacances.

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[AF] – Nous étions plusieurs à venir y soigner une souffrance ancienne

Une limite se fixe, dans un premier temps, car il ne s’agit pas de se laisser emporter par quelque émotion envahissante, presque trop enthousiastes d’avoir trouvé, un matin, un terrain complètement libre d’expression. Alors, la deadline agit sur les moyens disponibles de voir une forme surgir, sans raison apparente, sans projet définitif, sans avoir à imaginer ce que serait la réalité d’un emploi à grande envergure de ce qui ne sera jamais qu’un espace partagé avec quelques-uns seulement. On regarderait notre entourage passivement, ne faisant que relayer des manifestations stériles de nos inaptitudes. La gestion au quotidien devient alors infernale, car elle ne fait que montrer en permanence ce qui ressemble à un échec. Tout devient négatif. Le désir créatif s’amenuise. Chaque objet qui se dépose dans la pensée ne fait qu’y rester pour des temps indéterminés et ne s’aperçoit plus que ce qui s’oblige à la considération présente. De cela, aucun remède n’est efficace à force d’avoir été chacun réemployé à de trop nombreuses reprises. On sort les vieux dossiers. On aimerait classer. On aimerait calmer. Le trouble se fait insistant parce que la douleur propulse dans l’inactivité. Ainsi, je me vois ouvrant la fenêtre et criant à l’inconnu. On conclura qu’il était fou. Le lendemain, on aura oublié. Le défilement continu permet cela. On ne fixe pas l’intérêt premier qui n’a d’autre objectif que de générer une réalisation de soi à travers les outils de l’invisibilité, pour mieux satisfaire ce besoin de toujours se détacher de ce qui ne ferait que déstabiliser encore quelques certitudes semblant ne faire que ponctuellement surgir pour rassurer l’esprit d’être encore dans un cadre fonctionnel alors qu’il ne fait plus que produire l’indicible. Cela se manifeste comme un jugement à l’encontre des personnes les plus proches, rencontrées à l’échelle temporelle d’une mémoire reconnaissable, mais à partir du moment où ne se prend en considération que l’effet réel sur le présent et que rien de ce qui pourrait arriver ne se suppose autrement que déjà là s’exprimant d’une manière ou d’une autre, il devient presque trop difficile de ne plus être que dans la partie la plus inaccessible de l’être. Il ne s’agirait plus alors que de feuilleter quelques pages en amont pour se laisser séduire. Or, tout ce qui a été ressenti tient à se déployer autrement. Les yeux se perdent le long des lignes. L’esprit n’a plus le temps d’accrocher le sens complet. Il capte des mots au passage. Il se programme. Et puisque ce qui adviendra se voit, là, à ce moment précis où tout n’est plus que concentration, il se produit un acte de l’impensé. Il est temps, donc, de mettre en œuvre, c’est-à-dire, d’appliquer strictement ce qui vient de s’envisager dans l’immédiat. L’évidence s’y décèle plus aisément.

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[AF] – Nous fixons nos émotions sur un avenir devenu de plus en plus abstrait

Il est vrai que le format fait beaucoup. Il dicte. Ou, du moins, il a dicté tant que nous n’avions pas conscience qu’il dictait. Cette dimension-là nous échappera toujours. C’est avant tout une attitude que l’on adopte avec soi-même. Si nous nous arrêtions aux effets de réel, nous dirions simplement qu’une insomnie nous a saisis. C’était l’angoisse encore. Quelque focalisation concernant quelque sujet. Mais maintenant, nous le percevons autrement. Ce qui écrit en nous nous a réveillés. Pour vivre ces moments que nous n’avions d’abord pas pensés. Nous nous étions dit que tout serait là quand nous nous lèverions, alors qu’il nous fallait encore passer devant cette seule fenêtre éclairée, elle, sur ce qu’est la folie, comment elle s’organise pour s’adapter au monde, jusqu’à ce qu’il soit temps de s’y intégrer à nouveau, voyant la lenteur avec laquelle le ciel change de couleur, pour dire l’éveil, l’attente nécessaire, ces quelques heures qui seraient passées inaperçues, durant lesquelles, même s’il semble minime, un choix s’est mieux formulé. Il fallait chaque fois nous réadapter à une identité nouvelle, telle que nous l’avions admirée, se présentant dans la douceur de l’unité. Une fausse justification s’était comme immiscée. Et déjà, c’était le manque de ce que nous avions décidé de ne pas faire, ou plutôt, de ne plus faire. Un nouvel abandon. Le deuil de parfums d’automne. Ce nouveau calendrier sur lequel nous nous étions fixés. Intégrant sur une même échelle les erreurs du passé et l’établissement d’une meilleure gestion de l’avenir. Il ne fallait pas se leurrer avec tout cela. Ce n’était pas un détail anodin. Nous l’avions senti s’installer peu à peu, par quelques signes évidents. Les mêmes gestes répétés. La recréation, dans l’espace fictionnel, l’imaginaire, de l’étendue du mystère, de la manière qu’elle avait de distendre l’énergie, puisque nous y étions, puisque la période était celle que nous attendions, ne nous supposant plus comme un appareil doté d’une fonction marche-arrêt, qu’on aurait programmé à une heure précise, pour que notre conscience soit certaine qu’il y avait bien un avant et un après. Il n’y avait plus que des périodes. Nous les prendrions en compte uniquement si la nature nous entourant nous le signifiait, et pour celle que nous traversions à ce moment, une période de grand changement encore, elle l’avait fait. Nous étions en train de mieux établir ce qu’était l’économie, une notion à laquelle nous n’avions pas attaché assez d’importance, de sorte que toute proximité d’un chiffre devenait pétrifiante. Cela ne nous aurait pas concerné, ou plutôt, d’autres l’aurait mieux géré que nous. Et pourtant, c’est un mot, presque comme les autres. Il a ses multiples sens. Peut être employé autant que les autres. Il n’y a plus de raison d’en déléguer la formulation, autant que tous les mots dont nous nous sommes ressaisis, avec, parmi eux, le mot « direction ». Oui, grâce à l’autogestion qui fut immédiatement effective. Elle n’a pas révélé une liberté soudaine, comme si nous étions sortis d’une longue réclusion. Elle nous a fait évaluer autrement les éléments dont nous étions réellement dépendants. Les autres n’étaient que limites que nous nous infligions pour ne pas avoir à assumer notre part de responsabilité dans la non réalisation de notre idéal toujours en formation. Nous accusions tous azimuts. Jusqu’à la pluie qui s’abattait sur nous un jour de congé alors que nous avions décidé d’aller nous promener. Alors, bien sûr, cela ne nous rend pas moins dépendants de la pluie, mais comme elle est des lois dont nous ne pouvons rien, nous l’accueillons comme elle est, et il en est de même pour le reste. La loi, le cadre, les fonctions, où se trouvent notre rôle et notre puissance d’action. Et lorsque nous prenons en charge notre société interne, nous n’accusons plus, nous faisons, nous appliquons, nos principes, nos théories. Avec quelques débordements parfois. Ce n’est pas grand chose. Ça n’a pas beaucoup de conséquences. Nous sommes sur une gestion continue. Il n’y a pas de réelles heures de bureau, pas un moment où l’on se dirait « la journée est finie, je peux passer au sport ou à la télévision ». Nous fixons nos émotions sur un avenir devenu de plus en plus abstrait. C’est peut-être la plus grande des difficultés, mais elle vaut largement la peine d’être vécue tellement tout ce qu’elle réalise nous ravit.

Si vous avez manqué le début

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