[DIRECT LIVE] – 001

— Oh non, ce n’est pas nouveau. J’ai toujours un peu fait ça. Enfin, toujours, vous comprenez, depuis que je sais écrire. Enfin, surtout, depuis que je sais lire. Toutes les étiquettes des produits entreposés sur la table de la cuisine y passaient. Du début à la fin. Il fallait que j’aie tout lu. Je ne sais pas pourquoi. Tous les jours. Tout lu. Il me fallait imaginer à partir de ce qu’était la réalité, et ce que j’avais devant moi ne pouvait que le représenter. Cela ne pouvait pas être différent, ou plutôt, cela ne pouvait pas avoir un lien avec l’invisible qui me contenait. Oui, je sais, c’est paradoxal. Ce que je voyais en permanence ne semblait pas exister. Personne ne le voyait. Personne, autour de moi. Ce n’étaient pas des monstres hantant les cauchemars. C’était une énergie, quelque chose qui m’englobait entièrement. J’en sortais, pour ainsi dire, par les yeux. Ils étaient ma porte de sortie. Ainsi, je me disais : ces mots que je sais déchiffrer maintenant vont me dire l’essentiel. Ils vont me dire ce qu’il faut faire. Ils n’ont pas été déposés sur une bouteille de lait par hasard, ni sur une boîte de cornflakes sans intentions précises. Ça m’informe. Et puis, il y avait le journal quotidien, avec ses dizaines de pages. Je le lisais quand mon père le déposait quelque part dans l’appartement en rentrant du travail. Le soir, donc. Mieux que la télé. C’était la vie qui m’entourait. Ce qu’il y avait de l’autre côté de la porte, à l’extérieur des frontières. L’actualité. Je ne me suis jamais demandé si j’y comprenais quelque chose. C’était évident. Évidemment que je comprenais. C’était comme une histoire. Voilà ce qui vient de se passer et ce qui se passera sans doute bientôt, avec la météo et l’horoscope du jour, deux vérités desquelles je n’ai jamais douté. Aussi ne faut-il pas s’étonner si parfois je plonge encore dans le journal. C’est ainsi que je perçois le monde. Celui que je lis aujourd’hui n’a plus ni météo ni horoscope. En fait, je ne sais pas trop. Peut-être y a-t-il encore la météo. Je sais mieux sentir le temps qu’il va faire, et puis, il y a Google qui m’informe des changements importants, du type « stay dry » quand il va pleuvoir, « enjoy the sunshine » quand il va faire beau, deux ou trois degrés d’écart par rapport à la veille. Je m’en fiche un peu. C’est mon côté marin d’eau douce. On verra bien dans une heure. Si j’ai chaud, j’enlèverai mon pull, et s’il pleut, ben, voilà, c’est con, c’est terriblement con, mais je serai mouillé.

À suivre…

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