Je n’ai pas vraiment l’habitude de me retrouver dans des endroits glauques, mais alors là, ces vacances, c’était le pompon. Depuis plus de six mois, Hervé me tannait afin que je l’accompagne dans ce petit village naturiste, près de la côte. Il m’avait dit que c’était l’idéal pour se reposer, pour voir les autres sans l’a priori du vêtement qui, selon lui, masquait le véritable caractère des personnes que l’on rencontrait à droite et à gauche dans nos vies quotidiennes. Je ne sais plus trop comment il a réussi à me convaincre. Peut-être l’idée de rencontrer des personnes qui cultivaient un art de vivre que je ne connaissais pas, ou encore le besoin de me livrer tel que j’étais après ce si grand nombre d’échecs relationnels avec mes amis, mes parents, mes collègues, juste parce que j’avais décidé que personne ne pourrait lire dans mes pensées et que mon comportement, où que je sois, à n’importe quel moment, devait être surprenant, désagréable et impulsif. Ou peut-être n’était-ce que l’alléchante idée d’avoir peu de linge à laver en rentrant de vacances. Je ne sais plus. J’ai dit oui, et nous sommes partis début août, au plus chaud de la saison.
C’est sûr qu’avec des vacanciers qui se promènent dans leur plus simple appareil, on peut dire que les préjugés sont orientés autrement. Le premier jour, j’ai presque trouvé ça amusant. Nous nous sommes retrouvés au bar. Tout le monde était encore habillé. Une sorte d’animateur a ensuite organisé la cérémonie d’ouverture de la semaine. On ne pouvait passer de l’autre côté de la porte qu’après avoir abandonné tous les morceaux de tissu qui recouvraient nos peaux blanches de citadins intoxiqués. « Et maintenant, vous allez enlever vos chaussures et admirer vos pieds. Les marches à pied de nos villages n’useront pas vos souliers ! Ah, ah, ah ! ». Je crois que tout le monde a ri. Faut dire, c’était assez bien trouvé. Après, le roi Dagobert avait mis sa culotte à l’envers, alors il fallait qu’il l’enlève. Mouais. C’était moins drôle déjà. Puis les petites animations se sont enchaînées, jusqu’à ce que nous soyons tous en slip. Selon l’animateur, nous allions enfin réaliser l’objectif de tout homme abandonné sur la terre : nous faire pardonner le péché originel afin de retrouver notre vie tranquille et notre tenue d’Adam. « Je vous pardonne, mes enfants, car vous avez beaucoup travaillé et que vous méritez de bonnes vacances dans notre paradis ». C’est là qu’il a lancé le concours du plus beau costume d’Adam et Ève, et que tout le monde a enlevé ce qui lui restait. Quelle soirée ! Et quel séjour ! Si je m’attendais à un truc aussi glauque, sûr que je n’y aurais pas mis un orteil, et que j’aurais préféré user mes souliers en Ardèche avec mes cousins, même s’ils avaient mis leur culotte à l’envers et que leur objectif, c’était de se balader au milieu des sangliers au lieu de se faire pardonner je ne sais quel péché.
Encore, glander au bord de la piscine à poil, ça peut sembler logique, et ce n’est pas si choquant. Par contre, quand il faut aller chercher un verre au bar en passant devant les vieilles qui jouent au bridge à poil, c’est déjà moins logique. Et quand il faut aller à poil au tournoi de pétanque organisé le dimanche après-midi, là, ça devient carrément glauque, surtout quand le mistral souffle et que le temps n’est pas si clément envers les personnes qui ôtent le moindre chandail. Peut-être ne suis-je pas assez habitué à ce genre d’expérience, mais franchement, les spectateurs qui se gaussent parce que ma boule s’est minablement placée en-dehors du terrain, ben, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je trouve ça glauque. Et puis lorsqu’on commence à discuter à l’apéritif, instruments au vent, un verre de whisky à la main, avec une petite sacoche en bandoulière pour y mettre son argent, son briquet et son paquet de cigarettes, ben, je trouve ça glauque aussi. Et puis quand tout le monde se lance dans une « chenille qui redémarre », main dans la main, avec les attributs des uns et les attributs des unes qui suivent le mouvement cadencé de la danse, ben, je trouve ça glauque. Au petit déj’, dans la salle de projection, au self, à la soirée cubaine. Tous frisés ! Sans parler de la petite randonnée organisée pour voir l’aube en haut de la colline, avec nos petits sacs à dos. À poil ! Qu’est-ce que c’est glauque de voir trente randonneurs à poil avec juste un sac à dos et une casquette pour se protéger du soleil ! Il a bon dos l’esprit naturiste, mais je suis sûr que tout le monde scrute les attributs des uns et les attributs des unes dans le but de satisfaire l’esprit qui régit l’espèce humaine dans ce qu’elle a de plus pervers. Les regards à peine masqués puaient l’étonnement d’en voir une si petite, ou tordue. Impossible de parler à quelqu’un sans provoquer en moi une catastrophe ascensionnelle. Il fallait alors trouver un prétexte pour rejoindre sa chambre. Heureusement, je n’avais jamais de feu sur moi, et pour cause, je n’avais pas de sacoche en bandoulière. Manque d’expérience, sans doute. J’ai commencé à fuir les promenades dans le parc qui me conduisaient inéluctablement vers un groupe d’heureux naturistes qui testaient leurs attributs respectifs. Ils appellent ça un village naturiste, mais ce n’est rien d’autre qu’un immense club de rencontre où, comme dit Hervé, l’a priori du vêtement ne cache plus les intentions de chacun ! Au bout de trois jours, j’ai feint une insolation, et pendant le reste du séjour, je n’ai quitté ni ma chambre, ni mon énorme gilet en laine qui me recouvrait jusqu’aux genoux.
Depuis ces vacances mémorables, je me suis juré de ne plus jamais retourné dans un endroit aussi glauque, même si je pense, au fond de moi, que jamais un seul autre endroit au monde ne pourra égaler ce sinistre village.
Et pourtant…