De ces phrases toutes faites que l’on entend de la bouche d’une catégorie A de la fonction publique territoriale : « je ne suis pas chargé d’évaluer mes élèves ».
Alors, prenons au mot la situation.
Je n’évalue pas ?
Quand il tremble,
Quand il ne peut pas,
Quand il n’a plus envie.
Je n’évalue pas. Je ne vois pas.
Quand il n’a plus envie de se coller au code qu’on lui impose, le fameux « cadre », vous savez, la consigne, le nombre d’années pour y arriver, le cursus obligatoire avec disciplines obligatoires et bientôt la tenue obligatoire.
— Les gens réclament de l’exigence. Il faut être un peu sérieux. Attention, dans six mois, c’est dangereux. Encore un faux pas et dehors.
Que sont ces « centres de formation » qui ne garantissent pas à l’élève d’aboutir :
– à son niveau ?
– à son désir ?
Qu’est-ce que c’est ?
Un centre de rétention ?
— On appelle ça « prévention ».
Pour des raisons de sécurité.
On connaît la chanson.
Si tout le monde faisait comme lui, on en aurait plein les rues. Et puis, c’est bien connu aussi : la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Alors, tais-toi, s’il te plaît, avec tes revendications de liberté. Mieux vaut le marasme dans lequel on est, dans lequel on peut venir gueuler auprès du Manager et obtenir tout ce qu’on veut plutôt que les réunions à deux balles où on décide d’une action commune.
— Le rapport avec le sujet ?
Oh, il y en a un.
Ténu.
Ça commence le matin devant la glace. J’en ai marre. Tous pourris. Et la vieille du troisième. Et le chien d’à-côté. Et la radio, les accidents, la météo, le ministre de l’économie, blablabla, les grèves dans les transports, la coupe du monde de football. Vingt ans d’études pour un salaire de merde, et faut encore répondre aux mails. M’en fous. Ce matin, c’est ma dernière réunion. Après, j’arrête. C’est fini. Basta. La plage et les palmiers.
« De toute façon, ça ne changera rien »
J’arrive à la réunion et y a encore l’autre syndiqué, là, qui a changé de crèmerie parce qu’il trouvait qu’on était un peu mou du genou.
— Ben oui, j’aime bien rappeler en public que nous aurions à nous ressaisir de notre capacité de représentation, parce que pour le moment, c’est un peu l’autogestion de la misère démocratique notre affaire.
Autogéré comme autoflagellé.
« C’est une question de personne »
— Donc, si c’est une question de personne, bon prince ou tyran, nous voici en autocratie.
Avec tous ses avatars :
1. Opacité ;
2. Inégalité de traitement ;
3. Messages larmoyants de celui qui fait tout pour nous, vous comprenez, je remue ciel et terre.
Alors, on dit : nous n’avons qu’à instituer un autre fonctionnement, dire que nous nous sommes réunis et que nous avons désigné un représentant.
— Donc ça veut dire qu’on entre en guerre contre lui ?
Non, ça veut dire qu’on lutte contre notre besoin de lui, notre besoin qu’il soit source ou cause de tous nos problèmes. Depuis deux heures que nous sommes là, nous n’avons parlé que de lui. C’est comme à la télé. À cause du Président. Scandaleux. Une voiture de fonction ! Avec notre argent ! Et la mini-jupe ! Scandaleux ! On dit que c’est lui qui institue tout, mais de l’institution, qu’a-t-il vraiment créé ? Il n’était même pas né. Qui l’a mis là ? Qu’est-ce qui le maintient quoi qu’il fasse ? Parce que c’est vrai, je vous l’accorde, il a l’air important. Tout semble dépendre de lui. Quand il entre dans une pièce, les faibles tremblent et les forts restent polis. Pourtant, au fond, il n’est là, comme nous, que pour garantir qu’un service est bien tenu, qu’il y a égalité de traitement, du chauffage à tous les étages. C’est un peu militaire, mais je préfère le nom de « chef de service » à celui plus contemporain de Manager. Et puis, c’est notre acceptation qui le rend si puissant. Notre soumission pour certains. Notre collaboration pour d’autres. Il n’y a qu’à voir comme il agit. Il n’est pas si curieux. Il ne va pas au bout du texte, parce que, entre nous, s’il l’avait fait, il nous aurait trouvés, débusqués, amputés. Virés.
— Imaginez qu’il désigne un incompétent ! Ou un sous-fifre !
Et pourquoi le ferait-il ?
Puisque c’est nous qui allons le faire.
En élisant.
On va lui dire : voilà, nous n’acceptons plus d’attendre dans le couloir que la décision tombe comme un couperet. Des vies entières en dépendent. À certains âges, c’est terrifiant. Déjà, c’est difficile partout, et là où il devrait n’y avoir que du plaisir, c’est encore la sanction. Tout semble arbitraire. Injuste. Et après je ne saurai pas contre qui exprimer ma haine. Je le ferai au hasard des rencontres dans la rue. Peut-être une vieille, peut-être un flic, peut-être ta bagnole, connard.
Alors, en effet, nous allons prévenir. Protéger nos enfants. Et nos collègues aussi. Nous allons prendre le taureau par les cornes et nous imposer dans la course aux projets et la course aux budgets.
Combien y a-t-il d’argent, déjà ?
— Mouhahaha ! Vous ne le savez même pas.
Il est temps d’agir sur le structurel.
Dès maintenant.
Ci-joint un cadre.
Point barre.