Il n’y avait plus dictat de la Pensée, nécessité à n’être plus qu’entièrement servile au point de n’être qu’un conquérant des territoires physiques peuplant nos entourages. Il faudrait performer, il faudrait stimuler ? Alors qu’il faudrait jouer. Vous savez, à l’âge de deux ans, de trois ans, de cinq ans. Quand je les rencontre à l’hôpital, à sept ans, ils ont le même symptôme. Trop stimulés. « Tu seras intelligent, mon fils ». Tel père, tel fils. On applique. Les schémas directeurs. Et au lieu de jouer, il doit faire des exercices (oh, ça ressemble à des jeux, des calculs, des déductions, mais ce sont des exercices). Il le fait pour amuser papa, pour s’amuser avec lui, and during this time, il s’entraîne, à retenir son désir, à arrêter, de faire autre chose, de dire « non », tout en étant content, voire immensément heureux, de faire plaisir à tout le monde parce qu’il répond vite, et souvent parfaitement, car maman rit aussi, et elle est fière. On bloque, sans le savoir, sa capacité à élaborer des stratégies personnelles. Il doutera toute sa vie s’il ne prend pas en charge son éducation. Apprendre à apprendre, bien sûr, mais au right moment, pas trop tôt, lorsque les outils que l’enfant a à gérer ne sont pas trop lourds à manipuler — il y a des spécialistes qui vous diront à peu près quand et comment faire, mais globalement, c’est simple : laissez-le faire, il va trouver tout seul un chemin, et le jour où vous le verrez avancer, se lever, vous l’aiderez à marcher, puis à développer, car voilà un point fondamental : aider, c’est développer, c’est varier, c’est s’amuser lorsqu’il se trompe plutôt que de lui foutre une gifle —. « Pauvre petit », me direz-vous, mais franchement, où pensez-vous qu’on apprend la violence ? Dans la rue ? J’insiste sur ce point parce qu’on ne mesure pas la responsabilité qu’est la nôtre dans le maintien de la violence, et combien de docteurs pour la tête ont à s’occuper de ce problème de place dans la famille, c’est-à-dire, aussi, dans la fratrie, de ce moment où un enfant trop jeune a été trop longtemps et trop vivement stimulé comme on allume une télé, en changeant de chaînes à tout bout de champ, en éteignant brutalement, alors que toute pensée qui se constitue et qui, naturellement, se rendrait disponible à l’élaboration d’une Paix mondiale et définitive, n’aurait qu’à suivre son instinct de survie qui commande à la société de bien vouloir s’adapter à sa particularité, son unicité, sinon, c’est la guerre, ou au minimum, la contestation. « Tous des cons ». On l’entend à longueur de journées. Celui qui fout sa bagnole là, son vélo là, rentre à telle heure, regarde je ne sais quoi à la télé, lis cette connerie, écoute cette merde, et surtout, attends : va voter, s’te plaît ! Ces cas-là sont très certainement plus rentables pour les romans noirs que pour la psychanalyse, parce qu’au fond, il faudrait dire à un garçon devenu adulte : ta mère n’y est pour rien, et ce serait fini, non pas à la semaine prochaine, mais adieu, à toujours, à jamais, thème littéraire d’un amour confisqué entre une mère et son fils parce qu’un père n’assume pas qu’il n’est rien d’autre dans la société qu’une part reproduite de son père, et ainsi de suite depuis la nuit des siècles. « J’ai mal à la tête », « va voir ta mère ». « J’ai un problème de mathématiques », « va voir ton père ». On distribue ainsi le sens à donner à des inquiétudes physiques ou sociales. Mal à la tête, ça va passer, mais c’est long. Problème de mathématiques, c’est réglé en deux minutes : vive papa (maman est un peu lente à l’action). Il est vrai qu’on m’opposera que je généralise, mais dans combien de foyers encore ? Et pour combien de temps ? Ce que cela génère est ce que j’appellerai la « névrose constitutive du complexe de l’enfant ». Et de sa mère ? Non, de l’enfant, de sa nature à devoir patienter et à désirer créer de lui-même.