Le titre, je l’ai voulu révélateur. C’est l’anglo-saxon qui domine les échanges internationaux, et si l’on considère que j’entre toujours en action littéraire comme on entre en combat (puisque c’est la guerre encore), l’option me semble nécessaire. Le vivant en direct aurait sans doute moins d’impact. La vie en direct ferait penser à un reportage animalier. Direct live, ça fait caméra pointée sur le fait réel, sur l’événement. Oui, même si vous lisez ça dans un millénaire, vous y trouverez la vie comme elle est, c’est-à-dire avant tout pensée, conscience de ce que nous sommes actuellement. Je n’ai jamais rêvé d’être autre chose, une réalité. Ce fait-là sera discuté de nombreuses pages, car je prévois un long métrage. Ça commence dans un couloir. Le directeur déprimé me salue pour la seconde fois de la journée (il est de ceux qui ne me voient pas ou qui pensent qu’ils m’ont peut-être vu, mais ils ne se souviennent pas quand). Je pourrais m’inquiéter de ce qui le rend si affairé. Sorti de son bureau, il ne sait pas trop comment faire. Il tourne en rond, ouvre des portes au hasard. Il dit qu’il est chez lui et c’est en partie vrai. Il est comme chez lui, sauf qu’ici il porte un joli costume et qu’à la maison il se balade en slip. Je n’ai jamais vu ça et ça m’intéresse assez peu. La vie des privilégiés est finalement assez ennuyeuse. Aussi, je n’en parlerai plus. Il a fait son temps. Maintenant, des sujets bien plus graves doivent être traités. C’est l’urgence du calendrier. Dans quelques semaines, tout se décidera. Et je le sais déjà : il ne sera pas du voyage. C’est un peu comme la télé. Un jour, je l’ai laissée sur le trottoir. Oh, elle fonctionnait très bien, sauf que je passais suffisamment de temps devant, un peu systématiquement, pour me dire que j’avais autre chose à faire que de choisir entre la une et la trois (à l’époque, il y en avait six dont une chaîne cryptée — voilà qui est bien excitant : la crypte). Je ne pouvais plus lire à cause de la télé. Ces organes grâce auxquels je devais sortir (voir supra) recevaient de quoi m’enfouir dans l’inaction. Je l’entends encore cette inaction. Elle est très puissante en fin de journée, lorsqu’une masse très impressionnante d’êtres humains s’autorisent à s’installer tranquillement, soit un verre à la main, soit pour distraire la conception du repas familial, soit pour se reposer, soi-disant, la journée fut longue, je suis sous pression, mon patron ceci et ma collègue cela, et les grèves et mon rendez-vous chez le pédiatre. Même sur les réseaux sociaux dits dominants, on le sent. Les hashtags qui l’emportent sont des relais de ce qui se passe à la télé, du foot à l’émission politique, « merveilleux », « quel connard », le reportage en trois dimensions, le compte-rendu de l’apathie. Tout retombe. Les masses ne font plus rien. Elles ne créent plus. Elles argumentent leur émotion passive d’une photo de chat qui s’ennuie également et qui vient vérifier s’il n’y a pas quelque chose à grignoter du côté du carton à pizza. Tout cela se voudrait commenter la réalité alors que l’absence de contenu fait se lever un silence aberrant. Dans ces moments se pose la question de ce qui se passe vraiment. Dois-je regarder tout cela exister ? Mon œil a-t-il besoin de cela pour sortir ? Est-ce encore une tentative d’intrusion ? Je suis à nouveau comme j’étais le matin dans la cour de récré. « T’as vu le film hier ? ». Euh, non… Et je ne suis pas au courant de telle ou telle catastrophe. Je ne sais pas non plus qui est telle personne ou telle autre, je ne connais pas leur nom ni ne sais à quoi elles ressemblent. Je pourrais les croiser dans la rue sans me rendre compte de leur célébrité. Ce qui fait le buzz en moi est ce qui fait le buzz autour de moi, dans mon entourage direct, au sein d’un cercle d’amitié, familial ou dans mon environnement de travail. J’ai déjà beaucoup à faire de ce côté-là de la vie. Oui, ça m’occupe beaucoup et je ne m’ennuie pas. Je suis même loin de pouvoir me consacrer à tout ce que j’aimerais faire, même si, j’en ai conscience, je fais partie de ce groupe de personnes (un clan peut-être) qui s’est organisé pour se donner le temps de penser et de créer. Ce n’était pas donné. Il a fallu se battre pour l’obtenir. Autonomie financière dès le plus jeune âge. Lieu de réel repos aux moments essentiels. Je l’ai payé. Comme on me l’avait dit lorsque j’étais plus jeune : tu ne refuses rien lorsqu’il s’agit du travail. Tout cela a payé. Ce n’est pas Byzance tous les ans, mais je dois cette autonomie aux personnes qui ont pris en charge mon éducation, mère et père compris.